Le pilote

2002. Copyright Mekrazi Djilali.

Le pilote s'en va pour revenir plus tard. Sa femme et ses enfants attendent son retour. Ils parlent de lui, le soir autour du feu. Ils pensent à lui avant de se coucher, les yeux ouverts et pleins de nostalgie dans une nuit sans étoiles.

Le pilote chevauche un oiseau fait de fer. Il monte dans les cieux sur sa monture fière mais il pense aussi à ceux qu'il a quittés. Les reverra-t-ils un jour, lui que la mort guette dans cet horizon lointain, dans ce nuage épais ou cette crête hérissée ? 

Beaucoup sont revenus joyeux vers leurs foyers mais certains sont restés car la mort les a coincés en tissant autour d'eux une toile d'araignée faite de causes et d'effets. 

Au cours de notre carrière, combien de morts avons nous laissés sur la route pendant que d’autres, insouciants, vaquaient à leurs affaires.

Car les drames de l’aviation continuent de survenir. Ils ont toujours le même goût que celui d’antan. Les aviateurs les vivent à tour de rôle comme des images répétitives qui ressassent inlassablement la même histoire pénible aux générations successives… 

Qui n’a pas vécu ces heures d’angoisse dans l’attente d’une nouvelle qui ne voulait pas venir…

Qui n’a pas été terrassé par la disparition brutale d’un ami avec lequel il avait plaisanté pendant le petit déjeuner ou après le repas du soir ?   

Nous, les aviateurs, nous sommes habitués à la séparation sévère et aux départs hâtifs. 

Nomades isolés ou caravanes pressées, nos routes sont jalonnées de haltes sous les palmiers et de rondes autour des puits. 

Nous finissons souvent par nous retrouver, quelques minutes ou quelques heures selon les circonstances, pour discuter autour d'un thé ou d'un café. Nos retrouvons alors le sourire d'un ami ou la boutade d'un collègue.

Nous apercevons parfois des visages oubliés ou des noms effacés de notre mémoire saturée. Mais nous retrouvons toujours nos anciens compagnons de route avec une grande joie.

Ce n'est plus le cas aujourd'hui pour tous ceux qui ont achevé leur longue errance. Mais l'habitude de la séparation leur est restée.